Après avoir abordé la notion de cadre, j’aimerais consacrer un article à développer la notion de processus, sujet au cœur de mon activité (CaPr).
Et pour introduire cette notion, quoi de mieux que de dévoiler le processus de structuration de cet article à l’aide d’un schéma heuristique : nous allons « tourner autour » de cette notion pour expliciter ce que j’entends par ce mot, sous plusieurs aspects. Accompagnez-moi dans ce cheminement sémantique !
Nous sommes entourés… de processus !
Quand on parle processus, on a tout de suite l’image de quelque chose de très technique. Et effectivement, que ce soit dans l’informatique, l’industrie ou en sciences, ce sont les ingénieurs, c’est-à-dire des professionnels abordant les questions avec un angle technique et scientifique, qui utilisent principalement ce terme. Par exemple, quand on conçoit un système d’information, on fait en sorte que les processus d’achat et vente, et que les processus de production, puissent être exécutés. En géologie, le temps permet la réalisation de processus de sédimentation, d’érosion,…
Ce sont donc des transformations et/ou des actions (humaines, naturelles ou techniques), pas forcément faciles à appréhender car complexes ou obscures, et impliquant une succession d’évènements et/ou une notion de durée, avec un état résultant : but, état final,… On parle de processus boîte noire si le détail du fonctionnement n’est pas connu, et si on se préoccupe uniquement du résultat. Mais en quoi cette notion de processus peut-elle concerner le commun des mortels ? En réalité, nous vivons, sans le savoir, dans un monde de processus. Toute série d’actions menant à un état peut être vue comme un processus : une recette de cuisine, un travail, un projet, même simple (décision d’achat), l’acquisition d’une connaissance, tous nos processus physiologiques (réveil, endormissement, avoir faim, être rassasié, guérir,…), le changement climatique, les processus relationnels et sociologique : le racisme ou le sexisme, le déni, ou au contraire le processus de maturation des collectifs,…
Sommes-nous pris dans les processus ?
On peut très bien vivre sans vouloir les comprendre, ces processus. En nier même certains. Mais comme souvent, comprendre permet d’apprivoiser, de diminuer la peur, et d’agir, voire « optimiser » les processus au lieu de les craindre. C’est la meilleure manière de ne pas subir ces processus comme quelque chose d’inéluctable, vers un futur moins désirable, un recul. C’est ainsi que j’ai pu offrir une BD expliquant le racisme à une personne que j’estime beaucoup et qui me confessait devenir malgré elle, l’âge avançant et la situation culturelle de la France ne lui convenant plus, raciste : la lecture de cette BD permet de comprendre à quel point ce processus est en fait de l’ordre de la paresse intellectuelle, un raccourci pour simplifier le monde et valider ses propres choix de valeurs à l’exclusion des autres : c’est psychologiquement agréable ! Mais à fuir si on ne veut pas finir par détester tout ce qui n’est pas soi.
Je ne propose pas de tout analyser à la manière d’un ingénieur, de tout chercher à optimiser. Le vivant lui-même n’est pas optimal, et un processus parfait ne serait donc pas vivant, pas évolutif. Les musiciens qui ont l’oreille absolue peuvent parfois vivre la musique en en identifiant toutes les notes comme si c’était une partition qu’ils avaient devant eux, et cela perd un peu toute sa poésie. Cependant, cela peut être nécessaire de lever un peu le voile sur les rouages de ces processus, dès lors qu’on souhaite agir dessus pour surmonter un problème, proposer une évolution,…
Modélisation de processus pour la conception d’outils numériques
Reparlons un peu technique, si vous voulez bien. Quand une entreprise grossit, qu’on peut difficilement gérer « à la main » l’ensemble des contacts et des documents, et/ou que des contraintes légales imposent une norme (RGPD, facture électronique, suivi de comptabilité), on peut vouloir se doter d’un système d’information. Pour le choisir et le paramétrer de sorte que l’entreprise puisse l’utiliser correctement, il est nécessaire de passer par une phase d’analyse de processus métier, et d’analyse de besoin. Ce sont des éléments du cadrage du projet. Imaginons un système de vente de billets pour la participation à des évènements, qu’on va mettre en ligne. A l’aide d’un formalisme conçu pour cela, comme le diagramme BPM ou le diagramme UML d’activité, on modélise le fonctionnement du processus cible (et si besoin du processus actuel, pour envisager la transition entre les deux), en précisant de la façon la plus complète les différents scénarios, les différents cas de figure (paiement différé, annulation, report,…) , les éventuels arbres de décision qui vont permettre au client d’assister à l’évènement, et à l’entreprise de pouvoir être rémunérée pour l’organiser. Faire cette modélisation ne garantit pas qu’aucun cas de figure ne sera oublié, mais permettra en un coup d’œil de visualiser ce qui est conçu, et de faire en sorte que cette belle image ne soit pas dans la tête d’une personne uniquement. Ainsi il sera plus simple de voir si tel cas a été oublié, d’imaginer ce qui se passe dans telle autre situation, et de réfléchir à plusieurs sur le sujet.
Comment choisir son outil de modélisation ? BPM a ma préférence : il est relativement plus simple à appréhender par les personnes du métier, non spécialiste de l’informatique. On pourrait imaginer que UML, qui est déjà une base pour la conception logicielle, serait intéressant (lien avec les autres diagramme UML plus utilisés : diagramme de classe pour la base de données, diagramme de cas d’utilisation,…, automatisme de codage, ) mais ces avantages ne sont en général pas décisifs.
Entrevoir le système de façon globale évite également de ne travailler qu’en rafistolage, ce qui peut vite se transformer en une « usine à gaz » ingérable. J’ai ainsi vu une personne ayant développé un système d’information entier sous Excel, avec très peu d’utilisation des formules et code VBA. J’étais à la fois admirative du temps que ça lui avait pris d’aboutir à cela, et que ça lui prenait encore de faire moult copier-coller, et effrayée car elle seule pouvait gérer ce système. Bien sûr, quand il s’est agit de remplacer cela, nous avons tous eu des sueurs froides… mais le défi a été relevé, grâce à l’ouverture d’esprit de cette personne, et à ce travail d’accompagnement des processus métiers pour y calquer un processus numérique adéquat.
Une limite cependant : on modélise, avec ces formalismes, essentiellement des processus déterministes : on sait ce qui doit sortir en fonction des données de départs, des choix et actions effectuées. On peut modéliser des relations cause/conséquence, l’action du temps et/ou des logigrammes : suite de décisions et de conditions, mais difficilement le hasard. Pour les processus stochastiques, la part aléatoire ne peut être modélisée à l’intérieur du processus avec ces outils.
Et les processus humain ?
Un type de processus qui m’intéresse particulièrement est celui qui nous concerne, en tant qu’humain. Tout d’abord, nos processus internes. Ce sont les seuls qui nous appartiennent, et les seuls que nous pouvons vraiment changer, dans une certaine mesure (si j’exclue le réglage de votre réveil ou autre processus qu’on peut simplement décider de changer seuls !). Je parlais du racisme par exemple : on peut décider de comprendre ce qui se joue et l’éviter. Idem pour le complotisme. Idem pour le climatoscepticisme : un processus dans lequel notre culpabilité, notre responsabilité individuelle dans la destruction du vivant devient tellement insupportable qu’on ne peut pas la voir en face (plus d’infos). Mais, avec ces différents exemples, j’évoque des situations desquelles il n’est pas forcément simple de sortir. Dans les choses plus accessibles, on peut simplement tenter de comprendre ce qui fait qu’on allume cette cigarette alors qu’on voudrait arrêter, qu’on s’énerve toujours dans telle situation, en un mot qu’on ne fait pas toujours ce qu’on voudrait faire. Et la clé pour comprendre cela, qu’il s’agisse de choses faciles ou difficiles à changer, c’est la (re)connaissance de nos EMOTIONS. Le chemin de l’évènement au ressenti, à l’émotion, puis au sentiment voire au ressentiment, et à l’action, est un processus. Reconnaître ce processus – exemple simpliste : « quand je me sens mal, je mange une plaquette de chocolat » – peut permettre d’avoir des stratégies d’action, et mettre en œuvre d’autres processus qui, eux, encapacitent notre volonté de changement (voir par exemple cette vidéo) : dans mon exemple, si j’estime que ce comportement n’est pas bon pour moi, je vais me donner pour objectif de réduire ou de stopper cette habitude, en me fixant des buts réalistes (réduire de moitié, puis à une barre, puis à un carreau – ne le faire qu’une fois par demi-journée, jour, semaine, …), en vérifiant cette progression comme un coach positif et sans vouloir me punir, en en parlant à mes proches pour me motiver et demander leur encouragements, et en m’encourageant moi-même : « oui je peux le faire », « bravo j’ai bien avancé par rapport à mon objectif »,…. le fait de mettre le doigt sur ces habitudes de pensées ou d’actions à changer est donc clé.
Oui, on peut agir sur nous-même, sans forcément décortiquer tous les processus neurobiologiques de notre cerveau : striatum, système limbique, neurotransmetteurs,… (même si c’est intéressant si on veut creuser !).
Encore plus intéressant sont les processus lors des interactions relationnelles. Comme je l’ai évoqué dans l’article sur le cadre, il y a de nombreuses règles, mais aussi de nombreux processus, implicites. Le seul fait d’engager une conversation est un processus : pour ce faire, j’attends que la personne soit réceptive, j’engage la conversation avec si besoin une formule de politesse, elle accuse réception et me faire retour (pour les geeks : c’est une sorte de « ping » humain !), puis j’aborde les différents sujets, jaugeant à chaque seconde, à son attitude, son niveau de compréhension, d’accord,…, à mon tour, j’écoute ses propositions, son retour, idéalement dans une prescription réciproque : si je suis toujours en position « haute », la personne a l’impression d’être considérée comme un enfant / et inversement, il faut donc au maximum équilibrer cela ; sans oublier de prendre soin de finaliser l’échange sans couper le relation : c’est le rôle de ce sympathique mot : « au revoir ». Il n’est pas nécessaire d’être un autiste diagnostiqué pour trouver un intérêt à la formalisation d’un tel processus, et nous voyons bien qu’en changeant le support d’échange (de la voix, en présentiel, au SMS, par exemple), tout le détail de mise en œuvre de ce processus est modifié – même si le déroulement global est semblable, puisqu’il s’agit dans chaque cas de l’interaction entre deux individus. Quand je parle d’autisme, je veux dire que c’est précieux de voir la complexité des interactions humaines, mise en lumière par des personnes qui n’ont pas forcément la possibilité de décoder et de manipuler cet implicite : dans ces interviews par exemple, chaque remarque « décalée » peut conduire le spectateur à une prise de conscience, en effet miroir.
Pour ceux qui ont lu l’article sur le cadre, vous pouvez imaginer que je vais parler de processus de co-élaboration, comme ceux proposés pour les différents temps nécessités par la pratique de la gouvernance partagée, telle par exemple que la propose l’Université du Nous. Prenons l’exemple d’une prise de décision par consentement suivant un processus détaillé. Celui-ci permet autant que possible que chaque membre soit en équivalence (par le cercle), que ceux qui n’osent pas s’exprimer puisse contester une proposition (par le consentement), et qu’un espace de liberté soit donné à ceux qui ont du mal à exprimer une proposition consensuelle (par l’appel à proposition et la bonification). Dans la pratique de faire ensemble que l’UdN décrit (à la croisée de la sociocratie, de l’holacratie… et d’autres influences), un(e) facilitateur/trice, assisté d’un(e) secrétaire, a pour mission de poser ce processus (ou tout autre processus qu’il/elle juge approprié) comme cadre, en début de réunion, de le tenir, de façon dynamique et adaptable, à l’écoute de la vie du groupe, et en prenant soin « du chemin » c’est-à-dire de la manière (CNV, douceur, respect des limites physiologiques : besoins de pause, de nourriture,… de chacun). Le processus devient lui-même un cadre. Bien sûr, pour ne pas être « maltraité » par un cadre trop « mécanique », l’art du facilitateur, la délicatesse de la façon avec laquelle il choisit et applique ce cadre, est essentiel. Mais aussi sa remise en question : à la fin du processus, un tour de parole de feed-back permet au groupe de nourrir de son ressenti le/la faciliteur/trice, afin qu’il/elle puisse questionner sa pratique, et son choix de cadre, et le bonifier, pour une prochaine fois, dans un processus d’amélioration continue. De sorte que le collectif entretient une pratique de collaboration vivante.
Ça vous semble compliqué ? C’est parce que je l’explique comme un ingénieur, désolée 😅. Mais venez, et voyez !
Et si vous vous débattez avec vos processus… n’hésitez pas à me solliciter ! Un de mes atouts est de savoir identifier et formaliser les processus les plus pertinents, dans toute situation.
Cet article © 2023 de Caroline Pruvost est sous licence CC BY-SA 4.0
Remarquable. Super approche des processus et de plus compréhensible pour un non initié
A diffuser.
Excellent article, merci ! pleins de ressources