Cela fait plusieurs années que je m’intéresse de près aux outils de collaboration numérique. Pas forcément uniquement l’agenda partagé, très utile pour se coordonner, ni les boucles de discussion téléphonique, dont la multiplication a pu il me semble à la fois potentialiser, accélérer et fragmenter nos vies.
Je parle d’outils permettant une véritable collaboration, co-élaboration, de réponses à des questions importantes, de propositions à enjeux à long terme. D’outils permettant une coopération par action conjointe (et pas simple répartition des tâches, où il n’est pas nécessaire de faire ensemble un même effort), sans que la coordination soit imposée de l’extérieur.
Puisque je parle d’outils numériques, il s’agit bien entendu de travail compatible avec le numérique donc avec « dématérialisation » possible : production d’idées, de contenus textuels, visuels ou sonores, d’œuvres d’art. Ni le numérique ni la collaboration ne sont a priori incontournables pour travailler sur les idées, les mots, les sons, les images, en général. Ce sont plutôt des sources de contraintes :
- Co-écrire à plusieurs est un exercice très difficile.
- Le numérique tend à nous éloigner de la matière et du vivant, une grande partie des œuvres n’y sont qu’imparfaitement rendues.
Mais voilà. Nous avons ‘inventé’ une certaine globalisation, dans laquelle nos partenaires de travail sont potentiellement physiquement éloignés, et s’il reste important de se voir « en vrai » au moins un peu, par économie de temps et d’énergie on peut avoir l’élan / le besoin de continuer à distance. On peut tirer parti de cette contrainte, en faire une force :
- du fait de pouvoir, avec le numérique, tracer avec précision les écrits, les mots des uns et des autres, ainsi que leur enchaînement, l’historique éventuellement, etc.
- du fait de pouvoir, de part cette trace gardée, interrompre une réflexion et laisser reposer les idées, pour mieux formaliser sa pensée plus tard : les interventions en sont d’autant plus pertinentes
- du fait d’avoir sur certains outils de discussion (mais pas sur les boucles des appli téléphoniques en général), la possibilité de répondre à un élément précédent pour enrichir le propos en contexte
Le travail numérique dit « asynchrone » – puisque les interlocuteurs ne sont pas a priori en train de travailler au même moment – s’il a l’inconvénient d’être moins « stimulant » que la messagerie quasi-synchrone, a de nombreux atouts. Et les grands groupes et cabinets de conseil l’ont bien compris, qui enjoignent leurs collaborateurs à utiliser les espaces collaboratifs de Teams : c’est un outil très puissant, centralisant de nombreuses solutions (gestion de document, visio, agenda, éditeurs de documents microsoft) en plus de la possibilité de créer des équipes et canaux de discussion permettant les échanges asynchrones. Certains membres de ces organisations m’ont avoué ne plus se rappeler comment il était possible de travailler en équipe avant, ne plus pouvoir s’en passer !
Ceux qui me connaissent savent que cela ne me ressemble pas de faire un article à la gloire d’un outil unique et propriétaire, cependant, permettez-moi d’aller un cran plus loin. La nouvelle version de Teams permet le multi-tenant. Qu’est-ce que c’est ? C’est la possibilité de passer assez facilement d’un contexte à l’autre, d’une organisation à l’autre, quand on participe à des travaux coordonnés par des organisations différentes. Imaginons un consultant qui travaille sur les projets de plusieurs clients en même temps. Avant cette évolution, il lui était nécessaire de se délogguer de Teams pour se relogguer à chaque changement de contexte. Maintenant, les différents contextes sont liés à l’utilisateur. Et on peut imaginer que la collaboration numérique soit portée uniquement par des îlots d’organisations estampillées Microsoft reliées entre elles via des membres communs. Ces espaces digitaux, s’ils ont le mérite d’exister, restent excluants pour les collectifs ne pouvant et/ou ne voulant être inféodés à la firme à la fenêtre.
Pour la passionnée d’outils que je suis, la question est : y a-t-il un outil libre qui permette de mettre en place des espaces de discussion asynchrone structurés avec des membres identifiés, reliant des outils « de première nécessité » (cf Serge Levan) que sont, lors d’un véritable travail :
- la table autour de laquelle on est réuni c’est-à-dire le lieu « fermé » réunissant les quelques personnes qui participent (NB : en sociocratie holacratie il s’agit du « cercle »)
- le référentiel opératoire commun (sorte de tableau noir) avec notamment l’agenda de leurs échanges (date des livrables, date de fin prévue)
- la bibliothèque, pour pouvoir se référer à des travaux d’autres personnes ou précédents
Effectivement, ni un simple forum, ni un wiki, ni un espace de discussion de type slack/mattermost, ne suffisent !
Comme souvent, il est nécessaire de sortir du mythe de l’outil magique, mais plutôt de combiner plusieurs solutions. Et pour aller plus loin que Microsoft / permettre une certaine décentralisation, voici quelques pistes :
- L’outil yeswiki est très bon pour remplir le rôle de « gare centrale », se relier à d’autres, tout en permettant à la fois ouverture large de la collaboration et structuration grâce à la possibilité de création de données. Idem (avec une approche plus hiérarchisée) pour XWiki dont j’héberge une instance utilisée par plusieurs collectifs en local.
Côté développement de yeswiki, je plaide pour une formalisation d’un lien simple à établir avec NextCloud (solution de gestion et de synchronisation de dossiers et agenda, via un accès SSO commun notamment – avec par exemple la solution keycloak ?)
- Si on parle justement d’accès et de centralisation, qui dit SSO dit centralisation puisqu’un serveur unique est nécessaire – même dans une initiative collaborative telle que « Les Communs ». L’autre ensemble de solutions d’accès est celui lié à ActivityPub – socle des outils fédérés décentralisés du Fediverse type Mastodon,… Associé à un hébergement décentralisé de données personnelles comme proposé par The Virtual Assembly, on redonne à chacun la souveraineté de ses données, c’est le must !
- Ce genre de dispositif est assez largement indépendant des applications, qui peuvent donc alors être assemblées comme des modules en fonction des besoins, donc de façon beaucoup plus adaptable qu’un outil généraliste potentiellement tentaculaire
- Que ce soit dans Teams ou dans un outil/groupe d’outils libre(s), l’essentiel à mon sens est de se doter d’un cadre de discussion constructif qui permette un vrai travail, le moins frustrant possible – on a vu que la collaboration/co-élaboration numérique est à double titre exigeante. A l’opposé de la réactivité parfois destructive des réseaux sociaux, il est urgent de s’inspirer de l’art du « faire ensemble » que j’ai pu expérimenter notamment au sein de l’Université du Nous. Dans cette optique, la démarche d’animacoop me semble être complètement indiquée ! Et évidemment, de mon côté, je me tiens à disposition dans cette démarche avec formations/accompagnements à la carte sur les outils de votre choix ou que je pourrais vous conseiller.